« Dimanche prochain, c’est vous qui jouerez à l’orgue de Saint Jacques. »
C’est comme cela que mon professeur de piano me catapultât dans les bras de ce monstre à tuyaux, à la demande du Père de Mauny qui recherchait des organistes.
La réponse fusât : « Ça, ce n’est pas possible : d’abord je ne connais pas l’instrument, ensuite je suis incapable de jouer en public. »
« Je vous aiderai. » me répond-elle.
C’était un lundi.
Me voilà en face de mes partitions. Pendant 7 heures, cette semaine-là, j’ai travaillé cette première messe.
Dimanche 15 août, mon professeur était à mes côtés, à la tribune, tout en haut, m’aiguillant et profitant de la vue ! « Allez-y » lançait-elle quand il fallait jouer. « Stop. » Quand il fallait s’arrêter. « Ouf » a-t-on fait toutes les deux, à la fin de la messe. Ça s’était bien passé.
Cette première expérience passée, périlleuse, j’étais subjuguée par la perception d’avoir soutenu la prière des fidèles, grâce à l’instrument. Cela ne m’a pas quitté depuis, et j’en fais ma boussole : aider à prier.
J’ai accompagné une 2ème messe, puis une 3ème… Et puis un jour, nouveaux petits coups de pouce : une amie me dit : « Le professeur d’orgue du conservatoire a encore une place pour donner un cours, il t’attend. » C’était aussi direct que cela. Mais je n’avais rien demandé ! « C’est le titulaire de la cathédrale d’Amiens » ajoute-t-elle. Rien que ça !
La réponse fût rapide : « Ben non, c’est pas possible, je fais déjà du piano, et puis je n’ai pas de quoi payer un titulaire. »
« Non mais c’est pas cher du tout quand tu habites Compiègne. »
Je ne réponds pas mais j’enregistre l’information.
Le surlendemain, une collègue me dit : « Dis-donc, j’ai un vieil orgue dans mon garage, on n’en fait rien. Le veux-tu ? On te le donne. » Non mais vraiment, je n’avais rien demandé !
« Non, c’est gentil, j’ai déjà un piano. Qu’est-ce que tu veux que je fasse d’un orgue ? J’ai pas la place. »
« Regarde quand même, prend les mesures, et dis-moi. »
En rentrant, je mesure : il restait 10 cm à gauche, 10 cm à droite. Ça passait !
Et là, j’ai dû m’arrêter un peu : « Sophie, réfléchis ! On t’offre l’instrument que tu peux mettre chez toi, tu as le professeur pour découvrir l’instrument, la paroisse t’attend. Ça sent l’appel à plein nez ! »
Soit !
On déloge l’orgue inutile dans le garage, on le monte chez moi. Je m’inscris au conservatoire et me voilà lancée dans l’apprentissage d’un instrument que je n’ai pas choisi, pour un service qui ne me paraissait pas à ma portée.
15 ans plus tard, 3 professeurs et 3 instruments après, je prends toujours des cours, j’anime toujours à Saint Jacques, et j’aurai toujours à travailler pour essayer de tutoyer la musique céleste des anges du haut de la tribune.
Un jour, j’ai raconté cette histoire à un organiste en Alsace, fameux, dont c’était le métier… à lui ! Puis, je lui pose cette question : « Le Seigneur m’a conduite (et un peu poussée…) il m’a mise à l’instrument, m’a trouvé un professeur… mais je ne sais toujours pas comment il faudrait faire pour bien jouer en travaillant moins. »
Pour toute réponse, j’ai eu un grand silence.
Le silence qu’il y a après la musique, vous savez, celui où l’on contemple.
Et oui, sur terre, il faudra toujours travailler à faire du beau.
Sophie Brandicourt